Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

Angward


Index des rubriques

Recherche


Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?


Ailleurs sur Joueb.com
Vers un grand pas ?

Quand un journal américain influent réhabilite Chirac
"The National Journal", Washington

La Maison-Blanche aurait dû écouter la France, qui avait l’expérience du terrorisme et de la guerre d’Algérie, estime "The National Journal", un hebdomadaire lu par toute la classe politique de Washington.


Disons-le tout de suite puisque, loin d’être clos, le débat sur la façon d’aborder le monde de l’après-11 septembre 2001 ne fait que commencer (et puisque c’est ce qui se fait quand on est adulte et courageux) : les Français avaient raison. Répétons-le : les Français – oui, ces “singes capitulards bouffeurs de fromage”, comme les surnommaient si méchamment leurs détracteurs aux Etats-Unis – avaient raison.

“Faites attention !” Telle fut la mise en garde catégorique qu’adressait le président français Jacques René Chirac à ses “amis américains” lors d’une interview sur CNN. C’était le 16 mars, quelques jours avant que le Pentagone ne lance son invasion de l’Irak. “Réfléchissez par deux fois avant de faire quelque chose qui n’est pas nécessaire et qui peut être très dangereux”, avait-il recommandé. Ce conseil n’était pas un coup de tête de dernière minute, mais l’aboutissement d’un raisonnement parfaitement documenté mettant en évidence les périls d’une intervention menée par les Etats-Unis, raisonnement que les Français avaient soutenu pendant des mois au siège new-yorkais des Nations unies et réitéré à l’occasion de différentes réunions, à Paris, à Prague et à Washington. Ils n’étaient bien entendu pas les seuls dans le monde à s’opposer à une guerre, mais personne n’a développé des arguments avec plus de conviction et de minutie que les Français, grâces leur en soient rendues.

Mais voilà : les Américains, ou du moins l’administration Bush, n’ont pas daigné écouter l’avis des Français, qui ne disaient pas simplement que la guerre était une mauvaise idée, mais que les conséquences d’une invasion pourraient nuire aux intérêts occidentaux et à la guerre contre le terrorisme dans son ensemble. Aujourd’hui, Washington connaît une situation de plus en plus délicate en Irak, son contingent de 130 000 hommes est pris pour cible par une guérilla bien organisée et meurtrière, menée par des combattants islamistes étrangers et des fidèles de Saddam Hussein. Sur le front intérieur, une majorité d’Américains désapprouvent le soutien du Congrès à l’initiative de Bush, qui a obtenu une rallonge de 87 milliards de dollars pour l’armée et pour la reconstruction de l’Irak et de l’Afghanistan. Entre-temps, la Maison-Blanche s’ingénie à expliquer pourquoi ses troupes n’ont toujours pas trouvé d’armes de destruction massive, alors que la présence présumée d’ADM en Irak avait été l’un des principaux motifs de la guerre. Les plus farouches partisans de la guerre eux-mêmes reconnaissent que les Etats-Unis se sont lancés dans “une longue et rude besogne” en Irak, comme l’écrivait le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, dans un mémo interne divulgué récemment. En un mot comme en dix, l’Amérique risque de se retrouver prise au piège d’un enfer qu’elle a elle-même créé. Jean-Paul Sartre, philosophe existentialiste de la Rive gauche, avait fort bien cerné l’issue de ce genre de situation fâcheuse : est-ce véritablement un hasard si
Huis clos, sa pièce de 1944 sur les souffrances que l’être humain a tendance à s’infliger, est plus connue des Anglo-Saxons sous le titre de No Exit [Sans issue] ?

A l’heure du bilan, à Washington, des esprits chagrins se demandent comment l’administration a pu se fourrer dans ce guêpier et comment elle a pu se tromper à ce point dans ses prévisions de l’après-guerre. Mais, au lieu de chercher à savoir pourquoi l’administration avait tort, il serait sans doute plus utile de se demander comment les Français ont réussi à voir juste.

S’interroger a posteriori sur la façon dont le camp Bush a pu dérailler revient à établir les responsabilités dans un accident de voiture : ce type d’investigation est généralement perverti par les inimitiés partisanes et sectaires. Mais, en cherchant à comprendre pourquoi les Français avaient raison, on replace le débat dans une perspective plus positive et plus constructive. Or cette question se pose avec plus d’urgence que jamais et vaut qu’on y réponde : non pas pour inscrire dans la pierre une quelconque prescience méritoire, mais afin de procéder à l’indispensable réexamen de la campagne irakienne, que l’administration, ravalant mal sa hargne, a déjà lancé en appelant à la rescousse les Nations unies et d’autres pays (dont la France) et en multipliant les initiatives pour impliquer davantage d’Irakiens dans le maintien de l’ordre.

Mais n’allons pas trop vite en besogne… Les Français avaient-ils vraiment raison ? Après tout, le dossier irakien n’est pas encore bouclé ; ce qui aujourd’hui ressemble à un bourbier peut encore être réglé. La plupart des partisans de la guerre persistent à croire dur comme fer que l’offensive était justifiée, malgré les difficultés qu’elle a soulevées. Pourtant, à ce stade, il est clair que les Français, et plus particulièrement Chirac et ses conseillers, disposaient d’une hauteur de vues qui a cruellement fait défaut à l’équipe de Bush.

Les Français défendaient trois grands arguments, tous plus ou moins vigoureusement réfutés par le gouvernement américain : premièrement, la menace que constituait Saddam Hussein n’était pas imminente, ce que confirment toutes les informations dont on dispose actuellement, et notamment le rapport de l’inspecteur en armement nommé par Bush, David Kay, qui a déclaré qu’aucune arme de destruction massive n’a été trouvée. Deuxièmement, construire une démocratie en Irak serait un processus long, difficile et meurtrier, la population irakienne risquant fort de considérer les Américains davantage comme des occupants que comme des libérateurs. Au-delà même de la recrudescence des attaques de divers fanatiques contre les soldats américains, cette prédiction se trouve vérifiée par les sondages, qui montrent qu’une majorité d’Irakiens souhaitent que les Etats-Unis se retirent. Et, troisièmement, les Français avaient correctement prévu qu’une intervention conduite par les Américains sans l’aval explicite des Nations unies serait perçue comme illégitime par le monde musulman – et attiserait d’autant plus sa colère à l’égard des Etats-Unis.

Dès le 7 février, Jean-David Levitte, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, alertait en ces termes l’Institut de la paix de Washington : “Une guerre en Irak risquerait d’exacerber les sentiments de frustration et d’amertume du monde arabe et, au-delà, du monde musulman.” Bien vu. “L’hostilité qu’inspire l’Amérique a atteint des niveaux effarants”, concluait récemment une commission nommée par le gouvernement américain et présidée par Edward Djerejian, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Syrie, dans son rapport sur les réactions du monde musulman au lendemain de l’invasion.
Les autorités américaines, qui n’ont pas pardonné à la France ses positions d’avant la guerre au sujet de l’Irak, ne sont certes pas d’humeur à saluer la clairvoyance des Français. Les démocrates, dont beaucoup ont soutenu la guerre, n’auraient politiquement rien à gagner en reprenant à leur compte le raisonnement honni des Français, même si les déclarations que multiplient aujourd’hui leurs représentants au Congrès et leurs candidats à la présidence ressemblent à s’y méprendre à ce que disaient les Français à la veille du conflit. (“Cette guerre était une guerre non nécessaire”, tranchait le général Wesley Clark le 5 octobre, avec des accents très chiraquiens.)

Côté gouvernement, même le secrétaire d’Etat, Colin Powell, pourtant relativement modéré, s’exaspère encore lorsqu’on lui parle des Français. A en croire l’un de ses assistants, il aurait sèchement coupé court à la polémique en septembre dernier, en lançant lors d’une réunion avec des responsables irakiens à Bagdad : “Nous avions raison, ils avaient tort, et moi, je suis là.”

La présentation du raisonnement français dans les médias américains était de la même veine. Le sobriquet de “bouffeurs de fromage” (encore faudrait-il savoir si c’est de brie ou de roquefort qu’il s’agit…) vient d’un épisode des
Simpson vieux de huit ans, dans lequel un prof de français atrabilaire accueille ses élèves d’un tonitruant : “Bonjour, bande de singes capitulards bouffeurs de fromage !” Ce fut Jonah Goldberg, polémiste conservateur particulièrement friand de culture populaire, qui commet des chroniques à la National Review, qui popularisa l’insulte, en pleine surenchère de noms d’oiseau avant la guerre. The New York Post,
pour sa part, persiste à traiter les Français de “fouines”.

A en croire les débats qui se poursuivent depuis Washington jusqu’au fin fond des Etats-Unis, on pourrait penser que l’Elysée s’oppose systématiquement à tout ce que peut dire la Maison-Blanche. L’obstination des Français est pourtant sélective. La France a été le seul pays, avec les Etats-Unis, à mener des frappes aériennes contre les talibans en Afghanistan, avec leurs Mirage et leurs chasseurs Super Etendard, atteignant plus d’une trentaine de cibles pendant l’opération Anaconda, en mars 2002. Les Français ont soutenu sans réserve la guerre en Afghanistan et n’ont rompu avec Washington que sur la question irakienne.

L’idée largement exploitée (aux Etats-Unis) qui voulait que les Français défendent leurs relations commerciales privilégiées et très rentables avec le régime de Saddam Hussein n’est guère plus convaincante. En réalité, la France n’avait que des liens économiques mineurs avec Saddam Hussein. Elle n’arrivait ainsi qu’en treizième position parmi les pays participant à l’ancien programme des Nations unies Pétrole contre nourriture, mis en place avec l’Irak. Les Etats-Unis achetaient plus de 50 % des exportations irakiennes de pétrole autorisées dans le cadre de ce programme, et la France à peine 8 %.

Pour savoir pourquoi les Français avaient raison, il faut donc commencer par reconnaître que leur intransigeance ne peut se résumer à une simple réaction épidermique ou à de mesquines considérations de défense de leurs petits intérêts. Au contraire, la fracture entre les deux alliés historiques – qui portent haut l’un et l’autre le flambeau des valeurs libérales occidentales depuis plus de deux siècles – relève davantage d’une profonde différence des méthodes d’analyse. Pour comprendre comment les Français en sont arrivés à la position qu’ils ont adoptée et s’y sont obstinément accrochés, ne lâchant même pas prise face à la grave dégradation de leurs relations avec Washington, il faut étudier la nature de l’analyse hexagonale et remonter à ses origines.

L’exercice ne promet certes rien de très réjouissant. Bien qu’ils s’en défendent, les Français jubilent déjà, ravis de la justesse de leurs prédictions, qui, avant la guerre, leur avaient valu tous les quolibets. Il y a toutefois une bonne nouvelle (et c’est vraiment une très bonne nouvelle) : l’une des grandes causes de la clairvoyance des Français tient à leur mode de raisonnement, totalement étranger à l’esprit américain – un raisonnement prudent et pragmatique, issu de leur propre expérience et de leurs erreurs passées en tant que puissance occupante qui a été chassée d’Algérie et également en tant que précurseur dans la lutte contre le terrorisme international, n’ayant pas attendu le 11 septembre 2001 pour affronter en première ligne les réseaux islamistes. L’équipe Bush, en revanche, a abordé la question irakienne avec la supériorité arrogante que l’on attribue souvent aux Français. Cette approche hautaine et purement théorique a été illustrée par la clique des cerveaux néoconservateurs, dont le raisonnement s’inspire – ironie du sort ! – de la pensée politique européenne. Or, à l’heure où l’administration reconsidère la question irakienne, c’est peut-être dans sa propre culture qu’elle trouvera une façon de faire machine arrière pour revenir à une position raisonnable, en puisant dans la grande tradition oubliée du pragmatisme américain. Ce qui aurait en outre le privilège de clouer le bec aux Français.

Le prisme de l’Algérie

Toute approche pragmatique est en premier lieu une affaire de mémoire et tient à la capacité de tirer les leçons d’expériences passées similaires. A ce titre, la partie n’est pas encore gagnée. Les antiguerre américains ont brandi le spectre du Vietnam, rappelant que cette expérience devait inciter à la prudence. Le parallèle pourrait convenir, en ceci que le conflit vietnamien était un choc des civilisations et que les Etats-Unis n’ont jamais saisi la singularité du milieu social et politique dans lequel opéraient leurs forces. Mais le Vietnam n’est ni un pays musulman ni un pays du Moyen-Orient. C’était un théâtre d’opérations de la guerre froide, où la guérilla antiaméricaine était soutenue par l’Union soviétique et la Chine. Un seul pays occidental sait exactement, pour l’avoir vécu il y a peu dans sa chair, ce que signifie être une puissance occupante dans un pays arabe et affronter une rébellion musulmane. Ce pays, c’est la France. La France, qui a accordé son indépendance à l’Algérie en 1962, après avoir échoué à écraser huit ans de rébellion conduite par des assassins de sang-froid qui n’hésitaient pas à poser des bombes dans les boîtes de nuit d’Alger fréquentées par des adolescents français.

Ce souvenir reste gravé dans la conscience politique française. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, aucun événement n’est plus lourd ni plus douloureux à porter pour la France que le soulèvement algérien. Située sur la rive méridionale de la Méditerranée, l’Algérie entretenait avec la France des liens bien plus étroits que ceux qui auraient jamais pu se tisser entre le Vietnam et les Etats-Unis. Depuis 1830 et pendant cent trente-deux ans, l’Algérie est restée, juridiquement et constitutionnellement, une région annexée de la France, et non une colonie. Les combattants indépendantistes ont déboulonné la IVe République en précipitant un coup d’Etat de l’armée française contre le pouvoir politique civil, jugé inepte. Cette rébellion s’est également imposée comme un point de référence central à partir duquel l’élite politique française analyse désormais le monde musulman en général, et les forces du nationalisme arabe et du militantisme musulman en particulier.

Plus encore, l’Algérie a contraint la France à envisager de manière différente ses relations politiques, économiques et culturelles avec toute la partie de l’humanité non occidentale. L’Algérie portait en elle la leçon d’un “échec” classique, écrivait en 1977 l’historien britannique Alistair Horne dans son excellente analyse du conflit : <i> Histoire de la guerre d’Algérie </i> [Albin Michel, 1980]. Il parlait d’un “échec à satisfaire, voir à comprendre, les aspirations du tiers-monde”.

Le monde musulman est devenu la grande priorité – et le problème le plus immédiat – des autorités françaises. Aux Etats-Unis, l’ouverture d’un dialogue avec la communauté musulmane n’est apparue urgente qu’au lendemain du 11 septembre 2001. La France, forte de son expérience algérienne, avait lancé le processus de rapprochement plusieurs décennies auparavant. “Les Etats-Unis sont encore un peu naïfs dans leurs relations avec les pays musulmans du monde”, fait remarquer Simon Serfaty. Ce Français né il y a soixante ans au Maroc, alors sous protectorat, est analyste au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington. “Les Français connaissent mieux cette partie du monde”, ajoute-t-il.

Le soulèvement algérien a sans doute beaucoup marqué un jeune homme destiné à assumer la plus haute fonction de l’Etat français : Jacques Chirac. Mobilisé en 1956 comme officier de l’armée française, à 23 ans, Chirac s’est retrouvé à la tête d’une section dans une région montagneuse isolée d’Algérie. Il était chargé d’assurer le maintien de l’ordre. C’était là une mission impossible, car les populations locales protégeaient les fellaghas, combattants de la résistance armée du Front de libération nationale (FLN). Chirac lui-même n’a pas été blessé, mais certains de ses hommes l’ont été et d’autres y ont laissé leur vie. Dans un discours prononcé à l’Ecole militaire en 1996, il déclarait que son service en Algérie avait été la période la plus formatrice de sa vie.

Selon un vieil ami et conseiller du président, l’Algérie lui a surtout appris que toute occupation, fût-elle fondée sur les meilleures intentions possibles, est vouée à l’échec à partir du moment où la population se retourne contre l’occupant. “Il sait par expérience que, même si vous avez toute la bonne volonté du monde, quand vous êtes dans la position de l’occupant, quand vous êtes perçu comme un occupant : les populations locales n’attendent que de vous voir partir.” Si Chirac était certain d’une chose, poursuit ce proche du président, c’est bien qu’au bout du compte les Américains ne seraient pas perçus en Irak comme des libérateurs, mais comme des occupants. Il avait prévu un remake de la tragédie algérienne, ajoute-t-il, un “cercle vicieux” tel qu’aux actions de plus en plus violentes contre l’occupant répondraient des représailles de plus en plus dures – escalade qui ne peut qu’aviver le ressentiment des populations locales à l’égard de l’occupation.

Selon la version des Français, cette prévision fut à l’origine du désaccord entre Chirac et Bush, consommé en novembre 2002 lors d’un entretien privé à Prague, où les chefs d’Etat européens et américain étaient réunis pour débattre de l’élargissement de l’OTAN. (Il s’agissait d’une discussion téléphonique, qui fut leur principal échange avant que la guerre ne commence, six mois plus tard.) Un haut fonctionnaire français chargé de réviser une transcription manuscrite de cet entretien confie que Chirac n’a pas tant évoqué les risques liés à la grande phase des combats d’une campagne militaire – dont les Français pensaient qu’elle serait rapidement expédiée – que les périls de l’après-guerre et notamment le danger qu’il y avait à sous-estimer la force du nationalisme arabe et la prévalence de la violence dans un pays qui n’avait jamais connu la démocratie. Bush aurait rétorqué qu’il prévoyait l’émergence d’une résistance armée dans l’après-guerre, organisée par des éléments liés au régime baasiste de Saddam Hussein ; mais il estimait qu’il était très improbable que la population dans son ensemble en vienne à considérer les Etats-Unis comme une puissance d’occupation. Toujours selon cette même source, Chirac aurait alors déclaré à son interlocuteur que l’Histoire trancherait. La Maison-Blanche s’est récemment refusée à commenter cet entretien.

Sept mois après le renversement de Saddam Hussein, la conquête “des cœurs et des esprits” irakiens se poursuit. Un sondage de l’opinion irakienne, réalisé en août par John Zogby pour le compte de l’American Enterprise Institute (AEI), semble toutefois confirmer l’intuition de Chirac. Dans l’ensemble, il est vrai, les Irakiens se disaient très heureux d’être débarrassés de Saddam Hussein : 70 % pensaient que leur pays irait “beaucoup mieux” ou “un peu mieux” dans cinq ans. C’est ce résultat que l’administration américaine et l’AEI ont choisi de privilégier. Mais, lorsqu’on leur a demandé si les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne devaient contribuer à instaurer un gouvernement représentatif en Irak ou s’il valait mieux laisser les Irakiens se débrouiller tout seuls, 80 % des sondés se sont prononcés pour l’autodétermination des Irakiens. Pensaient-ils qu’au cours des cinq prochaines années les Etats-Unis aideraient l’Irak ou lui porteraient préjudice ? 36 % ont choisi la première réponse, et 50 % la seconde. “Ces résultats ne sont pas bons pour l’administration Bush. Quelque chose ne marche pas, et les sondages font ressortir de nombreux signes indiquant que quelque chose ne marche pas”, a commenté Zogby dans une interview, ajoutant que “les Américains ont mal évalué la situation : ils pensaient sincèrement que les Irakiens les accueilleraient à bras ouverts”.

Les expériences traumatisantes peuvent conduire à voir la réalité à travers un prisme déformant. Mais l’obsession française sur l’Algérie, si c’est de cela qu’il s’agit, semble ici opportune. Le soulèvement n’a pas simplement signé l’échec d’un pouvoir impérial vieillissant et corrompu. Il a aussi formé des rebelles dans la force de l’âge, comme Yasser Arafat, et il a inauguré la stratégie des militants islamistes consistant à manier la terreur pour réaliser d’ambitieux objectifs politiques.

Lors du conflit algérien, les Français ont eu affaire à de redoutables ennemis, qui étaient exactement du même type que ceux qu’affrontent aujourd’hui les forces américaines dans les rues de Bagdad. En septembre dernier – mieux vaut tard que jamais –, le Pentagone a convié les officiers des forces spéciales à une projection de
La Bataille d’Alger. Sorti en 1966, ce film montre comment les parachutistes d’élite ont éradiqué les cellules terroristes dans la capitale algérienne, signant ainsi l’une de leurs rares victoires incontestables dans cette guerre. Le message est double : d’un côté, les parachutistes ont obligé les troupes du FLN à cesser les combats dans la capitale ; mais, d’un autre côté, la rébellion n’a pas été écrasée pour autant – et, en fin de compte, la débandade des Français fut le fait du terrible bilan humain des affrontements et de l’indignation que souleva en France la cruauté des méthodes de l’armée à l’égard de la population algérienne.

Si la suite des événements devait reproduire le drame algérien en Irak, le rideau tomberait sur un retrait précipité et désordonné des forces américaines, sur ordre d’un pouvoir qui aurait cédé aux pressions politiques. Bien que Bush se soit engagé à tenir le cap tant que l’Irak ne sera pas stable et démocratique, c’est exactement ce que redoutent les Français, au vu de la montée des mécontentements que suscite l’hécatombe en Irak dans l’opinion américaine. Encore qu’avec environ 400 morts le décompte est relativement modeste au regard de la moyenne des conflits armés de l’Histoire. A Paris, on craint que cela ne débouche sur un chaos monumental aux portes de l’Europe. A ce stade, expliquait l’ambassadeur Levitte à des journalistes qu’il recevait dans sa résidence de Georgetown, “le scénario catastrophe pour nous serait un retrait américain. Si vous voulez bâtir une démocratie en Irak, vous devez être prêts à en payer le prix.”

De l’apaisement à l’Afghanistan

Comme on le voit, en matière d’occupation, les Français ne sont pas nés de la dernière pluie – pas plus d’ailleurs qu’en matière de lutte contre le terrorisme international. Ils ont quitté l’Algérie déconfits et humiliés. Leur première stratégie politique face à la menace inédite du terrorisme islamiste optait pour la voie de l’apaisement – approche qui revenait en fait à autoriser les réseaux terroristes internationaux à utiliser le sol français comme base, à condition qu’ils ne frappent pas à l’intérieur du pays. Comme il fallait s’y attendre, l’Hexagone est devenu un repaire de terroristes internationaux. Mais, quelques décennies plus tard, Paris s’était doté d’une capacité de contre-terrorisme orientée vers la prévention des attentats, dont l’efficacité était inégalée dans le reste du monde occidental. Et les Mirage français larguaient des bombes sur l’Afghanistan.

Derrière ce revirement, il y a tout l’historique de l’apprentissage des Français au chapitre de l’antiterrorisme. Tout comme l’Algérie, cette expérience instructive a profondément influencé la vision française du monde de l’après-11 septembre et elle explique en partie pourquoi les Français étaient à ce point convaincus que l’Irak n’était qu’un élément secondaire dans la lutte contre le terrorisme. L’un des rares personnages qui, à Washington, ait analysé de très près cet apprentissage est un chercheur discret, Jeremy Shapiro. Ancien chercheur à la Rand Corporation, il est aujourd’hui chargé de recherche pour le groupe de réflexion des relations américano-françaises à la Brookings Institution. Cet homme qui parle couramment français cultive ses contacts parmi les spécialistes du contre-terrorisme, des services de sécurité, à Paris comme à Washington. Il publie dans des revues politiques confidentielles des articles aux titres aussi évocateurs que “Les Etats-Unis ont beaucoup à apprendre des Français dans la guerre contre le terrorisme”.

Lors d’une interview donnée dans son petit bureau de la Brookings, il attaque le sujet de front. “Les Français ont été parmi les premiers à comprendre que le terrorisme était un mouvement international.” Mais, pour en arriver à cette conclusion, ils sont passés par une longue traversée du désert. Dans les années 80, une vague d’attentats a frappé Paris, notamment des grands magasins et des stations de métro. Les autorités avaient non seulement été incapables de prévenir ces attentats, mais elles ne savaient absolument pas qui avait pu les commettre, ni pourquoi. Dans un premier temps, elles ont cru voir la main des groupuscules néonazis derrière un attentat contre une synagogue des beaux quartiers parisiens [rue Copernic, en 1980]. Ce n’est que bien plus tard qu’elles devaient comprendre que ces actes étaient le fait des terroristes du Moyen-Orient.

Si les Français en étaient arrivés là, c’est à cause de ce que Shapiro appelle la “doctrine du sanctuaire”, une tentative moralement répugnante de mettre la France à l’abri du terrorisme international en adoptant une position de neutralité à l’égard des réseaux terroristes internationaux. Il s’agissait de ne donner aucune raison aux terroristes d’attaquer la France (il valait mieux qu’ils aillent frapper ailleurs).

L’idée n’a pas marché. D’autres pays activement engagés dans la lutte antiterroriste, comme l’Espagne et Israël, étaient bien entendu scandalisés que la France accueille ainsi leurs ennemis. De plus, quelques cellules terroristes dissidentes n’ont toutefois pas reconnu la “sanctuarisation” de la France et se sont attaquées aux intérêts français. Lorsque les attentats se sont multipliés à Paris, l’opinion française a réclamé un durcissement de la position officielle.

Les Français ont donc revu leur politique antiterroriste pour privilégier la répression et la prévention. La clé de cette politique est ce que Shapiro appelle “l’option Alan Greenspan” [du nom du président de la Banque fédérale américaine]. En fait, la France a choisi de dépolitiser la lutte antiterroriste. “Les Français traitent le terrorisme de la même façon que nous traitons la politique monétaire – comme une affaire trop sérieuse pour être confiée à des politiques”, explique Shapiro. Au cœur de ce système français se trouve un groupe de magistrats parisiens qui disposent de pouvoirs d’investigation dont l’ampleur aurait de quoi faire pâlir d’envie le ministre de la Justice américain, John Ashcroft. Grâce à l’expérience accumulée au fil de leurs innombrables enquêtes, ces magistrats ont réussi à remonter à la source des filières internationales du terrorisme islamiste et à obtenir des informations sur les projets d’attentats dès qu’ils se tramaient.

Les résultats sont impressionnants. Ils ont d’ailleurs été aussi profitables aux Français qu’aux Américains. Shapiro en veut pour preuve le cas exemplaire de l’arrestation du terroriste Ahmed Ressam, intercepté à la frontière américano-canadienne en décembre 1999, avec une voiture dont le coffre était bourré d’explosifs qu’il envisageait d’utiliser pour attaquer l’aéroport international de Los Angeles. Bien qu’il n’eût que peu de liens avec la France, les responsables français de la lutte antiterroriste suivaient sa trace depuis plus de trois ans et avaient à plusieurs reprises signalé aux autorités canadiennes qu’il projetait de s’en prendre à des cibles nord-américaines. Les Français ont fourni au FBI un dossier complet sur Ressam, ont aidé les responsables américains à identifier ses complices et ont envoyé un expert pour témoigner lors du procès de Ressam - qui a été condamné.

Dans ce contexte, la réaction des Français aux attentats du 11 septembre 2001 a constitué la phase ultime de la répudiation de la doctrine du sanctuaire. L’illusion qui voulait que la France puisse échapper au terrorisme a laissé place à un élan de solidarité sans précédent – et d’autant plus remarquable que les milieux politiques français faisaient depuis longtemps leurs choux gras de l’antiaméricanisme.

“Nous sommes tous des Américains”, proclamait en manchette le journal <i> Le Monde </i> du 13 septembre 2001. Le Conseil de sécurité de l’ONU, présidé ce mois-là par Levitte (qui était ambassadeur de France aux Nations unies avant de prendre ses fonctions à l’ambassade française de Washington), déclarait pour la première fois de son histoire qu’un acte de terrorisme était équivalent à un acte de guerre. C’est sur ce postulat juridique que la France s’est alliée aux Etats-Unis dans la campagne visant à renverser les talibans.

Cette union sacrée s’est bien entendu effritée dès que la menace très réelle d’une guerre en Irak s’est précisée, à l’automne 2002. La grande priorité de la France était de continuer à se concentrer sur Al Qaida et ses réseaux, et de poursuivre ce qu’elle considérait comme la campagne inachevée contre les talibans et les combattants islamistes retranchés en Afghanistan et au Pakistan. Des citoyens français étaient désormais des cibles directes : le 8 mai 2002, un attentat d’Al Qaida avait tué onze ingénieurs français à Karachi. “C’est la que réside la principale menace”, assurait Levitte le 29 janvier, lors d’une réunion d’information avec le groupe de réflexion de l’European Institute de Washington. Parmi les renseignements dont ils disposaient sur Al Qaida et les réseaux islamistes associés, les Français n’avaient pas le moindre élément permettant d’associer le régime de Saddam Hussein à Oussama Ben Laden et consorts. En décembre 2002, ils avaient arrêté une douzaine de Maghrébins qui avaient des liens avec Al Qaida et auraient préparé des attentats à Paris. A la même époque, ils ont publiquement déclaré qu’ils soupçonnaient les rebelles tchétchènes d’être liés à Al Qaida, mais pas Bagdad.

Les Français n’excluaient pas encore pour autant l’usage de la force en Irak. Leur opposition à une frappe américaine sur l’Irak s’est davantage justifiée par une question de légitimité. De quelle autorité se prévaudrait-on, demandaient-ils, pour défendre l’usage de la force ? Il s’agit là d’un bras de fer entre les deux pays qui remonte au début de la guerre froide. Mais la question irakienne a amplifié ce différend, qui a dégénéré en un antagonisme sans précédent. Les Français rejettent toute idée d’“exceptionnalisme américain”, vénérable concept ancré dans la psyché politique américaine et tarte à la crème des discours présidentiels. L’exceptionnalisme voudrait que les Etats-Unis aient un rôle unique à jouer dans les croisades menées pour promouvoir la liberté dans le monde et qu’ils soient à la hauteur de cette destinée grâce à leur immense puissance militaire et à l’exemple spectaculaire qu’ils ont donné en créant chez eux une société démocratique dynamique.

Les Français qui, après leur révolution antimonarchiste du XVIIIe siècle, ont eux aussi revendiqué ce privilège d’exceptionnalisme libéral et visionnaire, n’acceptent absolument pas cette idée. Ils soutiennent farouchement que seules les institutions de la “communauté internationale”, c’est-à-dire le Conseil de sécurité, peuvent être source de légitimité, particulièrement pour ce qui est de l’usage de la force. “Je suis tout à fait contre l’unilatéralisme dans le monde moderne”, confiait Chirac au <i> New York Times </i> dans une interview du 9 septembre 2002.

Pour des Américains exaspérés, cela a pu passer pour une nouvelle diatribe française contre l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. De toute évidence, en défendant le rôle décisif du Conseil de sécurité de l’ONU, la France tente de se ménager un rôle de premier plan, puisqu’elle figure elle-même parmi les cinq membres permanents disposant d’un droit de veto. Mais les Français sont peut-être mieux placés que les Américains pour apprécier l’image que le monde se fait des Etats-Unis et des institutions multilatérales comme l’ONU. L’exceptionnalisme américain ne marche que lorsque les étrangers y adhèrent. Dans le cas contraire, les Etats-Unis sont capables de se montrer absolument tyranniques pour arriver à leurs fins. Or l’opinion publique mondiale semble dire haut et fort : “Nous préférons l’ONU.” A commencer par l’Irak, où une majorité des citoyens interrogés par Zogby pensaient que les Etats-Unis porteraient davantage préjudice à l’Irak qu’ils ne l’aideraient, alors qu’ils répondaient le contraire pour l’ONU, 50 % des sondés estimant que l’organisation internationale serait utile, contre seulement 19 % qui craignaient qu’elle n’ait un effet négatif.

Dans le reste du monde musulman, ce sondage fait apparaître ce qui, pour les défenseurs de l’exceptionnalisme américain, ne peut être interprété que comme un paradoxe. D’un côté, l’intervention américaine en Irak a considérablement enflammé l’opinion musulmane. Selon une enquête du Pew Research Center for the People and the Press réalisée en juin dernier, l’antiaméricanisme a dépassé le Moyen-Orient pour se propager jusque dans des pays musulmans comme l’Indonésie, où, en l’espace de douze mois, la cote américaine a dégringolé, passant de 61 à 15 % d’opinions favorables. Il semblerait par ailleurs qu’une grande majorité des habitants des principaux pays musulmans voient les Etats-Unis comme une menace militaire potentielle. Parallèlement, ce sondage révèle aussi que, dans la plupart des pays musulmans, une large majorité d’individus aspire à une démocratie de type occidental. De toute évidence, si le produit que vendent les Etats-Unis plaît au monde musulman, le vendeur leur plaît beaucoup moins. Il préférerait se fournir dans une autre boutique et semble penser que l’ONU est celle qu’il leur faut.

Tout cela, bien entendu, est ce qu’ont dit et répété les Français, plus fort que quiconque. “Les Français disent parfois tout haut ce que les autres pensent tout bas”, constate Charles William Maynes, président de la Fondation Eurasie à Washington. Et c’est justement ce qui horripile depuis longtemps Washington. Maynes se souvient qu’à l’époque où il était diplomate, dans les années 60, il “était très difficile d’avoir une discussion raisonnable” sur la France ou l’Inde avec le département d’Etat. “J’en étais arrivé à la conclusion que c’était parce qu’il s’agissait de pays indépendants qui avaient une politique indépendante et leur propre vision du monde.”

Un peu de pragmatisme ?

Résumons : les Français ont eu raison sur l’Irak pour trois grandes raisons. D’abord parce que leur propre expérience leur a fourni le meilleur point de référence qui soit pour voir venir l’épreuve de force irakienne : l’Algérie. Ensuite parce qu’avec les progrès accomplis par leur politique antiterroriste ils étaient bien placés pour comparer en toute objectivité la menace posée par Al Qaida et les réseaux associés, et celle que posait le régime de Saddam Hussein. Enfin parce qu’ils ont de bonnes antennes et savaient parfaitement comment l’opinion publique mondiale, en particulier musulmane, percevrait la légitimité d’une intervention américaine. Ils ont surtout mieux su écouter que les Américains.

Washington, qui ne décolère toujours pas contre les Français, accuse Paris de se perdre en conjectures abstraites et creuses. “Il est facile de lancer de grandes théories sur la souveraineté, l’occupation, la libération et tout le tralala”, maugréait le mois dernier Colin Powell face à des journalistes, dans l’avion qui le ramenait d’un cycle de négociations avortées avec les Français sur l’extension des prérogatives de l’ONU en Irak.

Mais il s’attaque aux Français pour une mauvaise raison.

Le camp Bush a volé dans les plumes de Jacques Chirac – ce septuagénaire têtu que même ses amis ne considèrent pas comme un penseur conceptuel ou un grand stratège. (Il est plus enclin à la condescendance qu’aux vaines théories.) Mais, sur la question irakienne, il a montré à quel point il se sentait supérieur à Bush, un gamin de quatorze ans son cadet, entré à la Maison-Blanche sans jamais avoir touché aux affaires étrangères. Son ultime mise en garde – “Faites attention !” – venait après une déclaration du plus pur style chiraquien, autant dire pétrie de condescendance : “En ce qui me concerne, j’ai une certaine expérience de la vie politique internationale.”

Il est très difficile de réagir à une situation à laquelle on n’a jamais été confronté. C’est précisément dans ce cas qu’il peut être très tentant de raisonner sur de grands axes théoriques pour essayer de débroussailler un paysage inconnu et menaçant.

Il est sans doute encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur la plus géniale des théories géniales proposée par l’entourage néoconservateur de Bush, à savoir qu’un changement de régime en Irak serait à même de déclencher une transformation démocratique de la culture politique autocratique de tout le Moyen-Orient arabe. Mais, pour l’heure, cette théorie relève très certainement du vaste champ des hypothèses non vérifiées.

Les néoconservateurs ne sont en rien des spécialistes du Moyen-Orient. L’un de leurs grands maîtres à penser est un obscur philosophe politique, Leo Strauss, réfugié juif de l’Allemagne nazie. A l’université de Chicago, il eut pour disciple Paul Wolfowitz, qui est aujourd’hui secrétaire adjoint de la Défense dans le gouvernement Bush et figure parmi ceux qui préconisent de faire de l’Irak un laboratoire de la démocratie dans la région. Les straussiens tendent à croire en la capacité des élites intellectuelles - les philosophes rois d’aujourd’hui - à discerner des vérités inaccessibles aux esprits inférieurs. “C’est une méthode à l’européenne pour obliger les paysans à faire ce que ‘nous’disons”, estime James Pinkerton, un opposant à l’intervention en Irak qui a travaillé à la Maison-Blanche sous Bush père.

Si l’Amérique ne peut s’en remettre à une quelconque mémoire collective pour aborder le monde de l’après-11 septembre, rien ne l’empêche de recourir à la bonne vieille tradition émotive du pragmatisme américain. Je dis bien émotive, car, comme le souligne l’essayiste américain Louis Menand dans son ouvrage couronné par le jury Pulitzer
The Metaphysical Club, le pragmatisme américain moderne a été inventé après la guerre de Sécession comme antidote à des conceptions du monde par trop idéologiques et moralisantes. Les pragmatiques ont gagné du terrain grâce à leurs propres expériences difficiles et tragiques. A propos du penseur Oliver Wendell Holmes, l’un des pères fondateurs du mouvement, Menand écrit : “Il était parti au combat la fleur au fusil, porté par ses certitudes morales, qu’il soutenait avec une rare ferveur. La guerre ne lui a pas seulement ôté ses certitudes. Elle lui a fait perdre sa certitude des certitudes. Elle a laissé sur sa pensée la marque la plus graphique et indélébile qui soit, d’une certaine idée des limites des idées.”
Ce mode de pensée comporte un danger : qu’un excès de pragmatisme ne dégénère en cynisme et en pessimisme paralysant. Mais il y a aussi un danger à ce qu’un excès de théorie ne dégénère en imprudence. “Les limites des idées” - voilà bien un concept intriguant. Comme tout cela est loin de “ce-que-nous-Français-pensons”. Et le moment est sans doute venu que les Américains s’y intéressent à nouveau.

Paul Starobin

© 2003 by National Journal Group Inc. All rights reserved. Reprinted by permission

Ecrit par Angward, à 20:13 dans la rubrique "Histoires".

Commentaires :

  Anonyme
19-09-04
à 17:14

Voilà un article fort intéressant. Le plus étonnant dans cette triste affaire, c'est que les deux parties ( usa, france ) avaient raison.



Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom