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"US News & World Report", Washington
De la poudre sans fumée au TGV, l’histoire des relations franco-américaines est parsemée d’inventions variées qui ont traversé l’Atlantique dans les deux sens pour être adoptées et développées.
Cent ans après le triomphe des frères Wright, le consortium européen Airbus, dont le siège se trouve à Toulouse, a lui aussi imprimé sa marque dans l’histoire de l’aviation, en dépassant le géant américain Boeing par le nombre d’appareils livrés en 2003. La réussite d’Airbus n’est pas une surprise. Sur le plan diplomatique, le torchon brûle peut-être entre les Etats-Unis et la France, mais, dans le domaine technologique, les deux pays vivent une longue histoire d’amour. Chacun a fait d’extraordinaires découvertes et chacun a exploité avec assiduité les idées de l’autre.
Même l’hégémonie actuelle du complexe militaro-industriel américain doit indéniablement beaucoup à la France. Lorsqu’il est devenu commandant de l’académie militaire de West Point, en 1817, après avoir passé deux années en Europe, Sylvanus Thayer a conçu l’exigeant programme technique de l’école et son code de l’honneur et du service en s’inspirant de ceux de l’Ecole polytechnique. Les traités du génial ingénieur de Louis XIV, le maréchal Sébastien Le Prestre de Vauban, sur les sièges et les places fortes y sont devenus des textes de référence, et l’étude du français y a été rendue obligatoire.
L’influence française s’est aussi fait sentir pendant la guerre de Sécession : la balle Minie, qui a rendu les fusils utilisés dans ce conflit trois fois plus meurtriers que les anciennes armes, a été mise au point à l’origine par des officiers français. En 1885, l’ingénieur Paul Vieille a créé la poudre sans fumée. Ce sont des artilleurs français qui ont inventé le recul hydropneumatique qui permet aux canons de rester mortellement verrouillés sur leur cible, coup après coup. Et où en seraient les Navy SEAL, les unités d’élite de la marine américaine, sans l’équipement de plongée développé en 1943 sur la Côte d’Azur par Emile Gagnan et un certain Jacques-Yves Cousteau ?
Même les pièces interchangeables, à la base de la fabrication en série aux Etats-Unis, ont des racines en France. L’historien des sciences Ken Alder a montré qu’un armurier français utilisait déjà ce système vers 1720. Dans les années 1780, l’armée française a introduit des gabarits et des aménagements uniformes dans les armureries, de manière à appliquer de strictes tolérances. Thomas Jefferson vouait une grande admiration à ce système, que les armureries américaines ont adopté même s’il est tombé en désuétude au XIXe siècle. Les méthodes qui se sont fait connaître en Europe sous les noms de “système américain” et, au début du XXe siècle, de “fordisme” ne sont en fait que des versions de cette trouvaille française.
Le fromage et la baguette préservés par des Américains
A propos de Ford, qu’y a-t-il de plus américain qu’une automobile ? Et pourtant, c’est un Français qui a construit le premier véhicule autopropulsé, fonctionnant à la vapeur, il y a plus de deux siècles [Joseph Cugnot, en 1770]. Cent ans plus tard, la société hexagonale Panhard a élaboré l’architecture de base sur laquelle sont construites depuis toutes les voitures. Outre la standardisation, les triomphes de Henry Ford ont aussi dépendu de l’utilisation de l’acier au vanadium, résistant et inoxydable, qu’il avait admiré sur une épave de voiture de course française.
Bien avant Airbus, la France a produit des ingénieurs en aéronautique hors pair. Les inventeurs français, en tête desquels Louis Blériot et Robert Esnault-Pelterie, ont créé le monoplan tel qu’on le connaît, et c’est pourquoi on emploie toujours les termes français de “fuselage” et d’“aileron”.
Un Américain chauvin répliquerait que la France a accompli nombre de ses prouesses technologiques en reprenant des idées nées aux Etats-Unis. Les TGV sont leaders sur le marché mondial, mais, comme l’historien du rail Mark Reutter l’a souligné, la société Budd de Philadelphie construisait déjà des carénages articulés légers dans les années 30. De nos jours, la France produit 75 % de son électricité grâce au grand espoir de l’Amérique d’il y a cinquante ans : l’énergie nucléaire. Le droit social a également permis à d’autres inventions américaines d’être mises en valeur, comme les distributeurs automatiques (à cause des heures d’ouverture limitées des commerces) et les antibiotiques fabriqués en série (grâce à une assurance maladie généreuse).
De fait, les Français ont si souvent abandonné leur patrimoine en faveur de technologies innovantes que ce sont les Américains qui doivent le défendre. Ainsi l’historien Steven Kaplan a-t-il fait revivre l’art de la boulangerie française, et mère Noella Marcellino, une religieuse bénédictine américaine, docteur en microbiologie, a-t-elle préservé les traditionnels fromages français de la pasteurisation - un procédé d’ailleurs inventé par un Français, Louis Pasteur.
Il est vain de débattre pour savoir qui doit le plus à l’autre. Il est bien plus intéressant de se réjouir d’un enrichissement mutuel. Airbus compte de nombreux fournisseurs américains, et tôt ou tard Boeing fera un grand bond en avant dans le jeu sans fin de saute-mouton technologique. Le dernier mot revient au sage - Oscar Wilde, sans doute - qui a dit : “Les talents imitent, les génies volent.”
Edward Tenner
Courrier International