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Bush change de tactique pour avoir sa guerre
En présentant un projet de résolution plus souple sur l’Irak, la diplomatie américaine permet à Paris de crier victoire. Mais les objectifs stratégiques des Etats-Unis restent inchangés.

“Les Etats-Unis reculent sur l’Irak”, annonce l’”International Herald Tribune”. “Une proposition américaine pourrait sortir l’ONU de l’impasse”, nuance le “Washington Post”. “Les Etats-Unis acceptent de laisser tomber leur exigence d’une seule résolution sur l’Irak ­ qui comprendrait un passage automatique à l’action militaire ­ et préparent ainsi le terrain à un compromis avec la France”, précise le grand quotidien de la capitale américaine.

Après avoir été la cible des critiques des membres des Nations unies, l’administration Bush a donc modifié son discours et ne fait plus allusion à l’usage de la force. Son précédent projet de résolution accordait à tout Etat membre de l’ONU le pouvoir d’utiliser “toutes les mesures nécessaires” contre l’Irak à la moindre infraction constatée en matière de désarmement. Au lieu de cela, les Etats-Unis accordent désormais plus de poids au rôle des inspecteurs en désarmement, proposant que leur chef, Hans Blix, rende compte immédiatement au Conseil de sécurité de toute infraction irakienne. Le Conseil se réunirait alors “pour examiner la situation et le besoin de mise en conformité totale avec toutes les résolutions du Conseil de sécurité”.

Conséquences drastiques

Cela pourrait signifier le vote d’une deuxième résolution. Mais si le Conseil n’autorisait pas alors l’usage de la force, les Etats-Unis pourraient passer outre et décider de frapper l’Irak en constituant une coalition internationale en dehors du cadre onusien. Le secrétaire d’Etat, Colin Powell, a d’ailleurs déclaré que toute résolution devrait “préserver l’autorité et le droit du président des Etats-Unis à agir en légitime défense pour le peuple américain”.

Les représentants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) “devaient se rencontrer vendredi à New York afin de forger un accord définitif, avant de présenter la résolution aux dix autres membres du Conseil”, rapporte le “Miami Herald”. Le même quotidien ajoute que les responsables américains ont l’intention de présenter l’accord comme “une victoire”, car il respecterait “leur demande que l’Irak se soumette à des inspections libres et complètes afin d’éliminer ses armes nucléaires, chimiques et biologiques, sous peine de conséquences drastiques en cas de refus”.

Show annexe

Mais c’est surtout la France qui crie victoire, estimant que son idée de bien séparer les étapes et les résolutions ­ d’abord l’inspection, ensuite, si nécessaire, le recours à la force ­ s’est imposée au Conseil de sécurité. Or la presse européenne ne se range pas nécessairement à cette vision des choses. En Allemagne, la “Süddeutsche Zeitung” parle certes d’un “succès pour la diplomatie française”, mais le quotidien de Munich choisit de titrer sur le fait que “les Etats-Unis se réservent une action solitaire”. A Londres, le “Daily Telegraph” rappelle que “le Royaume-Uni soutient la nouvelle proposition américaine” et cite par ailleurs un “conseiller influent” de George W. Bush selon lequel “l’activité des Nations unies n’est qu’un show annexe, car l’événement principal, c’est la préparation de la guerre”.

“Les Etats-Unis renoncent à attaquer l’Irak avant que les experts de l’ONU inspectent les arsenaux locaux”, titre “El País” à la une. “George W. Bush accède même à la requête de Hans Blix, le chef des inspecteurs, de ne pas encadrer ceux-ci de militaires américains.” Le quotidien madrilène analyse ce revirement américain. Selon des sources diplomatiques, “en cas d’incident lors des inspections, les Etats-Unis consulteront le Conseil de sécurité avant toute action”. Certes, poursuit le journal, mais l’administration Bush se garde bien de préciser ce qu’elle entend par “consulter “: “Est-ce requérir l’autorisation de l’ONU pour attaquer l’Irak ou simplement laisser la place à un débat à la marge de décisions américaines irrévocables ? Cela constitue encore aujourd’hui le plus gros point d’achoppement entre Paris et Washington”, note “El País”. Qui estime que “Washington a quand même très bien joué la partie, car tout indique que Paris a été complètement pris au dépourvu par ce revirement américain. A tel point que Jean-David Levitte, l’ambassadeur de France à l’ONU, a quasiment fui les journalistes pour éviter de répondre à des questions embarrassantes.” De plus, analyse “El País”, Igor Ivanov, ministre des Affaires étrangères russe, a annoncé que “la nouvelle proposition américaine a tenu compte des principales réticences de Moscou, qui est satisfait”.

“La Stampa” affirme également que maintenant que “Moscou s’est rallié au nouveau projet américain, ne plane plus qu’une incertitude : l’attitude de la France de Jacques Chirac.” Le quotidien italien évoque “l’arme secrète du président français : le droit de veto” et insiste sur “l’ambiguïté de la politique française”, citant notamment la petite phrase que Chirac a répété lors de ses visites à Alexandrie et à Beyrouth : “La guerre n’est pas une fatalité.” Petite phrase qui a plus semé le trouble que permis de comprendre ce que Paris voulait, estime “La Stampa”. Le quotidien italien considère que, malgré le discours triomphaliste des Français, la manœuvre américaine laisse Paris isolé, “obligé d’obtempérer à la nouvelle donne ou de présenter sa propre résolution, vouée à l’échec, ou encore de bloquer la nouvelle proposition”. Dans ce cas, résume “La Stampa”, “Paris porterait seule l’opprobre d’une fracture totale au sein du Conseil de sécurité de l’ONU”.

EG et MS

© Courrierinternational.com
Ecrit par Angward, à 20:10 dans la rubrique "Histoires".



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