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A l'aube de la longue guerre

En ces temps d'ébullition géostratégique, il nous a paru légitime de rendre effectivement à César ce qui lui revient de droit, autrement dit, de consacrer une chronique spécifique à ce que l'on appelle parfois l'art de la guerre. Même si l'on peut se demander ce que cette activité tristement humaine peut bien avoir d'artistique. (Raymond Clarinard)

 

Nous nous efforcerons dans ces lignes d'aborder à la fois l'évolution des conflits qui ensanglantent la planète et le développement de nouveaux matériels, technologies et stratégies. Loin d'annoncer une ère de paix et d'équilibre, la disparition du bloc communiste, en 1989-1991, a vu le monde basculer dans l'instabilité. Une instabilité encore aggravée par les attentats du 11 septembre 2001, qui ont permis à Washington de s'installer depuis dans une guerre étrangère permanente dont les motivations n'ont plus grand-chose à voir avec l'éradication d'un prétendu mouvement terroriste.

 

Jamais les médias, en particulier occidentaux, n'ont été à ce point fascinés par la chose militaire. Régulièrement, les journaux s'extasient sur les exploits de telle ou telle nouvelle petite merveille, prouesse technologique la plupart du temps née dans les laboratoires américains. Cet engouement pour le tout technologique s'accompagne systématiquement d'une tentative de relecture de la guerre. On nous assure, à chaque début de nouvel affrontement, quand les bombes commencent à pleuvoir sur une ville lointaine, que cette fois, le conflit auquel nous allons assister sera radicalement différent de tous ceux qui l'ont précédé. Puis, très vite, les gadgets s'enlisent et la guerre redevient ce qu'elle a toujours été : une affaire d'hommes anonymes, pris au piège de la poussière, des larmes et du sang. Dès cet instant, d'ailleurs, la guerre quitte les premières pages et nos écrans pour s'installer discrètement dans la routine de notre quotidien médiatique.

 

D'où la présence d'Excalibur pour agrémenter notre chronique. De tout temps, l'homme a voulu disposer d'armes magiques capables de balayer l'adversaire sans efforts : les trompettes de Jéricho, par exemple, ou encore l'épée du roi Arthur. Sauf que, même en brandissant le présent de la Dame du Lac, le malheureux a dû chevaucher à travers toute la Bretagne pour repousser Angles, Saxons, Pictes et Scots, pour n'en citer que quelques-uns. Les chroniqueurs ont retenu les noms et les lieux (supposés) d'à peine cinq batailles sur les douze qu'il livra officiellement. Quant à la treizième, mythique, elle lui fut évidemment fatale. Preuve qu'avec ou sans arme magique, il faut quand même toujours mettre la main à la pâte, et que ça ne se termine pas forcément bien pour le héros.

 

Notre époque, dont les guerres sont infiniment plus meurtrières que celles du VIe siècle en Bretagne, ne cesse de se chercher des Excalibur : la ligne Maginot, la "Guerre des étoiles", les munitions "intelligentes", et, hélas ! le nucléaire. Mais rien n'y fait. En Irak aujourd'hui, ce sont de simples GI qui patrouillent, traquant de simples résistants irakiens, et le tout se règle généralement à coups d'AK-47 et de M-16A2, de grenades et de bombes artisanales. Les frappes chirurgicales ont été remisées au placard, et avec elle le principe de la "catatonie stratégique", le "choc et stupeur" tant vanté par les états-majors dans les premiers jours de la marche américaine sur Bagdad.

 

Mais elles pourraient ressortir bientôt de la naphtaline. Les bruits de bottes autour de l'Iran se font chaque jour plus assourdissants, et Téhéran ne fait rien pour calmer le jeu. Les Etats-Unis ne maîtrisent pas la situation en Irak mais, à en croire Sam Gardiner, colonel de l'US Air Force en retraite, interviewé sur CNN et repris par le site Raw Story, des unités américaines seraient déjà en action en Iran. "Je dirais, et cela risque d'en choquer certains, que la décision a été prise et que des opérations militaires sont déjà en cours", a-t-il ainsi lancé. Après l'Afghanistan et l'Irak, l'Iran ? CNN, en tout cas, semble s'y être préparée, annonçant il y a peu un changement important dans la rhétorique belliqueuse de la Maison-Blanche. Il ne faudrait donc plus parler de "guerre contre le terrorisme", mais tout simplement de "longue guerre". Plus de date, plus de fin annoncée, plus d'ennemi défini non plus. Outre-Atlantique, on se rapproche chaque jour un peu plus d'un univers orwellien.

 

Du reste, il n'y a rien de surprenant à ce que les militaires soient peut-être déjà à pied d'œuvre sur le terrain. Une guerre, après tout, ça se prépare un minimum. Comme l'ont démontré des officiers britanniques et américains dès le mois de juillet 2004, en se livrant à un exercice connu sous le nom de code de "Hotspur 2004". Selon The Guardian, "des officiers britanniques ont pris part à un exercice d'état-major américain destiné à préparer d'une éventuelle invasion de l'Iran". Le quotidien de Londres cite également William Arkin, ancien officier du renseignement américain qui, dans son éditorial spécialisé sur les questions militaires dans les pages du Washington Post, annonçait récemment : "L'armée américaine se prépare très, très sérieusement, elle met en place des plans de guerre, étudie les options et les cartes, modifie sa doctrine." Le même Arkin avait déclaré il y a peu que les Etats-Unis n'écartaient pas l'hypothèse d'une frappe nucléaire contre l'Iran, histoire de rassurer tout le monde.

 

Comme pour faire encore monter la pression, le Jane's Intelligence Digest affirmait au même moment que la Biélorussie se disposait "à exporter de la technologie militaire russe sensible en Iran". Minsk compterait en effet transférer à Téhéran des missiles antiaériens de fabrication russe S-300SP, authentique cauchemar des états-majors occidentaux, capables de traiter plusieurs cibles aériennes en même temps à haute altitude. Bien sûr, ce que le Jane's ne dit pas, c'est que si ces missiles ne sont pas encore installés en Iran, si les Iraniens n'ont pas suivi de formation au maniement de ces armes sophistiquées, on voit mal en quoi cela empêcherait les Américains ou les Israéliens de frapper avant que ces systèmes soient opérationnels.

 

Avec les tensions montantes autour du nucléaire iranien, avec les guerres civiles au Tchad, au Soudan, en Côte-d'Ivoire, avec la "normalisation" de plus en plus sanglante en Irak, sans rien dire de conflits toujours menaçants, comme entre l'Inde et le Pakistan, la Chine et Taïwan, ou les deux Corées, nous n'avons pas fini de rendre à César ce qui lui appartient. Et si parfois, notre ton bascule légèrement dans l'ironie et l'irrévérence en dépit de la gravité de ces sujets, rappelons que l'humour reste encore et toujours la politesse du désespoir…

 

 

Raymond Clarinard - courrier international

Ecrit par Angward, à 15:20 dans la rubrique "Histoires".



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