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Le mécanisme d'Anticythère

En 1900, des pêcheurs d'éponges remontaient, d'une épave antique coulée par 40 m de fond, près des côtes de l'île grecque d'Anticythère, entre la Crète et le Péloponnèse, un curieux butin, noyé parmi une cargaison d'amphores et de statues. Leur prise se composait de plusieurs fragments de bronze corrodé, recouverts d'une gangue de calcaire et de corail, et maintenus entre eux par les restes d'une structure en bois. A première vue, il s'agissait d'un ensemble d'une vingtaine de roues dentées, formant un mécanisme à l'usage inconnu.

 

Il fallut attendre les années 1950 pour qu'un travail de restauration révèle, sous les dépôts sédimentaires, des inscriptions et des graduations qui permirent de dater ces vestiges, d'après la forme des caractères, de 90 à 80 avant J.-C. Et firent supposer qu'il s'agissait d'un "banal" astrolabe, un instrument servant à déterminer la hauteur des astres au-dessus de l'horizon et connu depuis le IIe siècle avant notre ère. Le mécanisme d'Anticythère fut classé comme tel dans les collections du Musée national archéologique d'Athènes et y dormit.

 

Mais, en 1959, un physicien britannique, Solla Price, poussa l'investigation plus avant. En utilisant un procédé de désoxydation électrolytique, il fit apparaître un dispositif extrêmement complexe, comprenant, outre la vingtaine de roues dentées, des axes, des tambours, des aiguilles mobiles et trois cadrans gravés d'inscriptions et de signes astronomiques. Le tout occupant le volume d'un petit boîtier haut de 21 cm, large de 16 et épais de 5.

 

La machinerie était beaucoup trop élaborée pour être celle d'un simple astrolabe. Solla Price y vit un "calculateur calendaire", ancêtre des horloges astronomiques de la Renaissance. Son fonctionnement, reposant sur les mouvements différentiels des engrenages, permettait, selon le chercheur, de calculer la position des astres à un moment donné. Un dispositif si sophistiqué que certains archéologues doutèrent de sa datation, imaginant qu'il pouvait s'agir d'un objet de facture plus récente, échoué dans l'épave antique par le hasard des courants marins.

 

Pour en avoir le coeur net, une nouvelle expertise scientifique a débuté à l'automne 2005. Associant des astronomes, des physiciens, des mathématiciens et des paléographes des universités d'Athènes, de Thessalonique et de Cardiff, elle fait appel à une machine à rayons X de près de 8 tonnes, un tomographe, délivrant des faisceaux de 450 kilovolts, conçu par la société britannique X-Tek Systems.

 

TRAITÉ D'ASTRONOMIE

 

Soumis à la question par ce scanner, qui dévoile l'intimité de ses structures en trois dimensions avec une précision de 50 microns, le mécanisme d'Anticythère a commencé à parler, relate Xénophon Moussas, directeur du laboratoire d'astrophysique de l'université d'Athènes. "Nous avons découvert et déchiffré de nouvelles inscriptions en grec, sur les pièces du mécanisme ou sur des fragments de feuilles de bronze. Ces textes, qui comptent au total un millier de caractères, sont à la fois un mode d'emploi de l'appareil et un traité d'astronomie, faisant référence aux étoiles. Chaque semaine nous en apprend un peu plus", s'enthousiasme-t-il. Quatre cadrans "au moins" - et non pas trois - indiquent les positions du Soleil et de la Lune, ainsi que, pour le plus petit des cadrans, les phases de notre satellite.

 

"Nous sommes sûrs aujourd'hui qu'il s'agissait d'une machine à calculer les mouvements du Soleil et de la Lune, peut-être aussi - nous n'en sommes pas certains - ceux de quelques planètes", indique le chercheur. Le terme d'horloge astronomique lui paraît toutefois inapproprié, le mécanisme étant apparemment actionné par une manivelle. La forme des caractères, comparée à celles d'autres inscriptions de la même époque, conduit en outre les experts à dater la pièce de la fin du IIe siècle avant l'ère chrétienne. Les résultats des analyses en cours devraient être communiqués à l'automne 2006, lors d'une conférence internationale à Athènes.

 

Reste la principale énigme : comment les Grecs, peu réputés pour leur culture technologique, ont-ils réalisé un tel instrument, très en avance sur son temps ? "Les mathématiques grecques étaient déjà très poussées à cette époque", observe Xénophon Moussas. Elles auraient pu suffire à un érudit, doublé d'un mécanicien de génie, pour ciseler une mécanique savante qui, si l'on en croit certains textes de Cicéron décrivant des systèmes similaires, pourrait provenir de l'école du philosophe Poseidonios de Rhodes. Et qui, deux millénaires plus tard, intrigue toujours.

 

Pierre Le Hir

Article paru dans l'édition du 09.06.06 (le monde)

à suivre ...
Ecrit par Angward, à 23:18 dans la rubrique "Curiosité".



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