L'ère des fusées et des navettes spatiales n'est
pas encore tout à fait révolue, mais elle pourrait bien être dépassée.
Avec l'aide de la NASA, des ingénieurs de la Saskatchewan s'attaquent
depuis cette année à la solution de rechange: l'ascenseur pour l'espace.
Bonne nouvelle pour les adeptes
du tourisme spatial: l'humanité est désormais 12 mètres plus près du
voyage en orbite à bon marché... et ce n'est qu'une question de temps
avant que les 35 millions de mètres restants jusqu'à l'orbite
géostationnaire soient franchis.
Cette prodigieuse percée, on la doit à une petite équipe de
l'Université de la Saskatchewan, qui s'est classée bonne première au
tout premier volet des Space Elevator Games, un nouveau concours annuel
organisé par la NASA. «Ni nous ni aucune des 20 équipes présentes n'a
remporté le grand prix de 50 000 $, mais ce n'est que partie remise»,
lance à l'autre bout du fil le chef de l'équipe, Edwin Zhang.
Aussi farfelue qu'elle puisse paraître, l'idée de construire un
ascenseur spatial a été l'objet depuis les années 60 de dizaines de
travaux scientifiques sérieux. Les modèles proposés reposent tous sur
la même idée: puisque tout objet placé en orbite ne peut se «décrocher»
sans une puissante poussée, il est possible de le relier à la terre par
un câble de façon permanente. Suffit alors d'ajouter un véhicule
capable de monter et de descendre le long de ce câble en utilisant une
source d'énergie au sol, et on vient de réduire l'envoi de matériel
dans l'espace à une fraction de son prix actuel (environ 20 000 $US par
kilo de marchandise mise en orbite).
Sur papier et la réalité
Sur papier, le concept fonctionne remarquablement bien. En pratique, il
reste encore beaucoup (vraiment beaucoup) de détails à régler. Premier
problème: trouver un matériau suffisamment solide et extensible pour
construire le câble qui reliera la terre à l'espace. Un fil fait de
nanotubes de carbone - un matériel haute technologie des centaines de
fois plus résistant à la rupture que l'acier - pourrait être une
solution. Reste à pouvoir manufacturer ce matériau à meilleur prix que
les 50 $ du gramme qu'il coûte actuellement (il faudrait environ 20
millions de grammes pour se rendre dans l'espace).
Autre problème: comment faire grimper l'ascenseur à partir d'une source
d'énergie située au sol. Électrifier le câble le rendrait si lourd
qu'il céderait sous son propre poids, et doter l'ascenseur d'un
réservoir d'essence éliminerait l'avantage que détient le dispositif
sur la fusée traditionnelle.
C'est là qu'entre en jeu l'équipe d'ingénieurs dirigée par Edwin Zhang.
Pendant des semaines, répondant au défi posé par la NASA, ses collègues
et lui se sont creusé la tête pour trouver une technique qui
permettrait de faire grimper l'ascenseur efficacement sur un ruban de
60 mètres grâce à une simple source lumineuse fournie par l'agence
spatiale.
Les 12 petits mètres grimpés par l'élévateur - près du double de la
distance franchie par les dispositifs de leurs concurrents - peuvent
paraître ridicules, mais ils posent les premiers jalons d'un système
plus efficace. «L'année prochaine, nous nous présenterons au concours
avec notre propre source d'énergie, qui prendra probablement la forme
d'un laser», explique M. Shang.
«Le concours nous a fait constater à quel point il faut une source
lumineuse puissante pour dépasser le cap des 100 mètres. À l'heure
actuelle, pas un seul laser n'est suffisamment puissant pour y arriver.
C'est donc là-dessus que porteront nos efforts pendant l'année, dit-il.»
«Nous avons aussi appris que la turbulence provoquée par la vibration
du ruban, même s'il ne mesure que 60 mètres, est considérable. Il faut
donc penser à une solution pratique pour un câble des millions de fois
plus long.»
Lucide, le jeune ingénieur demeure cependant persuadé que jamais de son
vivant il ne verra un ascenseur spatial fonctionner. «Il y a 150 ans,
les gens disaient la même chose pour les avions. On a depuis marché sur
la Lune et on s'apprête à envoyer des humains sur Mars... alors on ne
sait jamais.»
Tristan Péloquin
La Presse