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"Les Américains peuvent gagner la guerre, mais pacifier l'Irak ?"
Pour Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS et auteur de "La Question irakienne", Washington n'a pas adressé aux populations les signaux forts prouvant qu'elles ne seraient pas une nouvelle fois "trahies".

La résistance irakienne aux forces américaines et britanniques vous a-t-elle surpris ?

Oui. Je faisais partie de ceux qui pensaient que le régime, n'ayant aucune base sociale, et la solidarité confessionnelle ne pouvant se faire, comme cela avait été le cas en 1991 -le régime se serait éffondré- Je ne crois pas m'être trompé sur le régime et sur ses capacités de résistance. La surprise tient à la façon dont les Etats-Unis sont entrés en guerre, et à la façon dont ils la mènent. Je crois que c'est cela qui, en grande partie, justifie la résistance irakienne, sans que ce soit pour autant une réédition de 1991. Je pense que c'est ce qui explique aussi que le système de coercition soit apparemment resté intact. On en arrive au point où je ne suis même plus sûr que les Etats-Unis puissent gagner la guerre.

Aujourd'hui, il y a une réaction patriotique qui tient au fait qu'une grande partie de la population a été prise en otage par le régime et que les "bavures" américaines se multiplient. Mais cette réaction n'est pas pour autant en faveur du régime. Je le sais par expérience de l'Irak et aussi, de façon plus précise, de la part d'Irakiens que j'arrive à joindre régulièrement à Bassora et dans la région. Il y a effectivement quelque chose dont le régime tente de profiter : c'est le fait que la communauté chiite a été priée par ses autorités religieuses de se terrer. C'est ce qui ressortait des fatwas qui ont été promulguées, à Nadjaf, par le cheik -Mohammed Hussein- Fadlallah -l'une des plus hautes autorités chiites- au Liban, ou par les autorités iraniennes. Elles interdisent aux musulmans de prêter main-forte à l'envahisseur, mais elles ne proclament pas le djihad contre le régime en place, ni contre les Américains. Elles visent à protéger la communauté, par crainte d'une réédition de 1991.

La population reste donc passive...

Oui. Personne ne peut croire que la population de Nassiriya, par exemple, qui avait été victime de l'arme chimique de la part de la Garde républicaine en 1991, tienne tête aux Américains aujourd'hui en scandant le nom de Saddam. Les gens de Bassora et de plusieurs villes du sud que j'ai pu joindre sont unanimes pour dire que les forces spéciales et la Garde républicaine ont investi ces villes. La moitié d'entre eux sont habillés en civil et, grâce aux comités de quartier du Baas -le parti au pouvoir-, ils empêchent les gens de sortir et même parfois les obligent à faire le coup de feu contre les Américains, comme ce fut le cas dans un quartier de Bassora. Ils ont distribué des armes aux habitants et leur ont confié la garde du quartier en les prévenant que, si les Britanniques avançaient sur leurs positions, leurs familles seraient les premières victimes.

Êtes-vous surpris par la résistance opposée par le Baas, que l'on disait marginalisé par Saddam Hussein ?

C'est nouveau. Mais ce qui me surprend, c'est surtout la façon dont les Etats-Unis sont entrés en guerre. Les Irakiens ont vu qu'elle était très décalée par rapport au caractère décisif et radical que suggérait le nom de l'opération "Choc et stupeur". Tout le monde a constaté que les Etats-Unis ont ménagé la Garde républicaine. Il y a eu des bombardements ciblés sur la direction irakienne, mais la Garde républicaine n'a pas été visée. Les Américains n'ont commencé que très récemment à s'attaquer à elle. Tout le monde a interprété cette façon d'entrer en guerre comme une réédition de 1991. Tous les gens que j'ai joints en Irak m'ont dit être certains que les Américains veulent ménager les forces de répression parce qu'ils entendent compter sur elles une fois le régime renversé.

La crainte qui habite bon nombre d'Irakiens jusqu'à présent, c'est que la guerre soit doublée de négociations avec le régime. Et je sais, de source sûre, que ces négociations ont bien existé. Elles n'ont pas abouti parce que Saddam Hussein voulait sauver l'essentiel de son clan. Il réclamait un laissez-passer pour une cinquantaine de personnes et les Américains ne lui ont laissé de porte de sortie que pour neuf, dont lui-même, avec les garanties nécessaires qu'elles échapperaient à la justice internationale et qu'elles bénéficieraient d'une partie du magot que le régime a réussi à mettre à l'étranger.

Malgré les moyens dont disposent les Américains, la télévision irakienne n'a pas été réduite au silence. Les Américains ont laissé Saddam Hussein avoir une image publique qui s'est finalement retournée contre eux. Ils prévoyaient qu'avec la pression de la guerre, Saddam Hussein annoncerait sa reddition et son exil et demanderait à ses troupes de cesser de se battre. Ils ne se sont pas rendus compte que ce régime-là soit s'effondre d'un coup, soit, si on lui permet de garder une image publique, peut maintenir son système de coercition en place. L'essentiel du système qui tient l'ensemble des corps d'élite a continué de fonctionner et, au fil des jours, la réaction patriotique a redonné espoir à des gens qui pensaient livrer un baroud d'honneur.

Enfin, les Américains sont entrés en Irak, non seulement en se passant de tout soutien international, et avec une coalition qui ne fait pas illusion, mais aussi en écartant l'opposition irakienne. les Kurdes, qui sont leurs soutiens les plus probables, n'ont guère été consultés. Et les Américains ont signifié à l'Iran qu'une intervention de l'opposition chiite irakienne serait considérée comme un casus belli.

Les négociations dont vous parlez ont-elles continué après le déclenchement des hostilités ?

Oui. Certains enfants de dirigeants irakiens - et pas des moindres - sont à l'abri, dans certains pays arabes ou européens, notamment là où le régime a mis à l'abri une partie de son magot. Certains comptes dont les Américains avaient interdit l'usage ont été débloqués. C'est notamment le cas pour la fille de Taha Yassine Ramadan, qui est en Suisse maintenant. Tout cela se sait. Les Irakiens ont vu que beaucoup de dirigeants ont vendu leurs maisons, et ont envoyé leurs enfants à l'étranger.

Qui, hormis la fille de M. Ramadan, est parti à l'étranger ?

Ce sont surtout des filles. C'est important du point de vue irakien. C'est par le biais de ces enfants autorisés à partir en Syrie, en Jordanie et dans certains pays européens que les négociations ont continué, et grâce à certains intermédiaires qui ont traditionnellement joué le rôle de go-between entre les Américains et le régime.

Les Américains accusent l'Iran d'avoir mis sur le pied de guerre des Gardiens de la révolution. Est-ce vrai ou pure rhétorique ?

C'est de la rhétorique. Je crois que l'Iran est extrêmement vigilant à ne pas provoquer les Américains, et que les dirigeants iraniens attendent que les Américains s'enlisent, afin d'apparaître comme une planche de salut, une porte d'entrée vers une partie de la communauté chiite irakienne. La question est de savoir s'ils le feront à temps, parce que, au rythme où vont les choses, la communauté chiite se radicalise. Les fatwas des uns et des autres pourraient être dépassées par une dynamique de guérilla.

Doutez-vous sérieusement de la capacité des Américains à gagner la guerre ?

Ils ont la capacité de gagner la guerre, mais je doute vraiment maintenant qu'ils puissent pacifier l'Irak. Il aurait fallu qu'ils donnent des signaux forts aux Irakiens prouvant qu'ils n'allaient pas les trahir une seconde fois. Tous les signaux qu'ils ont envoyés allaient en sens inverse. Ils ont même donné un droit de regard à la Turquie et à l'Arabie saoudite sur l'après-Saddam, et les Irakiens savent que c'est à leurs dépens. Les Turcs ne veulent pas de l'autonomie du Kurdistan ni voir des Kurdes à Kirkouk. Le régime irakien l'a compris, qui a tendu un piège aux Kurdes, en se repliant de la région de Kirkouk, pour que les peshmergas s'en emparent, entraînant une intervention turque, qui n'aurait pas manqué, en réaction, de susciter une intervention iranienne. Dans une telle situation chaotique, le régime apparaîtrait comme un moindre mal.

Propos recueillis par Mouna Naïm
Ecrit par Angward, à 21:05 dans la rubrique "Histoires".



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