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Vous pensez que Yasser Arafat sera bientôt assassiné ? A partir du 1er octobre 2003, vous pourrez parier dessus, et avec un “peu de chance” - si le leader palestinien est effectivement tué - vous récupérerez la mise et gagnerez beaucoup d’argent. Grâce au Pentagone. Le ministère de la Défense américain veut en effet “créer une Bourse aux attentats et aux coups d’Etat, qui fonctionnera exactement comme une Bourse au pétrole ou au maïs, afin de mieux prédire les attaques terroristes et autres catastrophes politiques aux Proche-Orient”, annonce le “Los Angeles Times”.
Le projet, longtemps tenu secret, n’est connu au grand jour que parce que deux de ses rapporteurs, des sénateurs démocrates, l’ont révélé, outrés que l’on puisse “dépenser l’argent du contribuable pour de telles inepties”, note le “New York Times”. Les deux hommes ont qualifié le concept, qui porte le nom de Marché d’analyse politique, de “répugnant et grotesque”. L’un des sénateurs s’est interrogé sur les réactions du peuple américain s’il apprenait “qu’un autre pays a mis en place un marché où l’on pourrait parier - et ce avec des subventions du gouvernement - sur l’assassinat d’un homme politique américain”.
Le Proche-Orient en ligne de mire
Le Pentagone se défend en expliquant que “les marchés donnent aujourd’hui avec précision l’évolution du cours du pétrole. Et les marchés spéculatifs, comme celui que nous créons, prédisent très bien les résultats d’une élection par exemple”, cite le “New York Times”. Selon le ministère, le marché d’analyse politique est donc un excellent outil de prévision et d’anticipation pour lutter contre le terrorisme.
L’idée est la suivante, décrite par le quotidien : “Vous pensez que X va être assassiné, ou qu’un coup d’Etat va avoir lieu dans le pays Y. Alors vous achetez des ‘contrats spéculatifs’, une sorte d’action. Plus ces ‘contrats’ sont vendus, plus leur cours montent. Si vous avez anticipé suffisamment, par exemple en achetant à 5 cents, vous gagnerez beaucoup d’argent en revendant quand le ‘contrat’ est parvenu à un dollar.” Comme avec toute Bourse. En suivant les fluctuations de tel ou tel événement, le Pentagone pourrait donc en théorie voir émerger de nouveaux risques, prendre la juste mesure de ceux qui sont déjà connus, cesser de s’inquiéter de ceux qui disparaissent… A ce jour, les “valeurs” introduites sont “le futur économique, militaire et politique de l’Arabie Saoudite, de l’Egypte, de la Jordanie, de l’Iran, de l’Irak, d’Israël, de la Syrie et de la Turquie, et les effets de la politique américaine sur ces pays.”
Légers biais…
Les premières transactions commenceront le 1er octobre, et à partir du 1er août, il sera possible aux futurs “traders” de s’inscrire sur le site pour participer. Dans un premier temps, le Pentagone veut limiter à 1 000 le nombre d’intervenants, et le porter éventuellement à 10 000 le 1er janvier 2004. A cette fin, Donald Rumsfeld et ses hommes ont déjà dépensé 435 000 euros et en demandent encore 7 millions. Le Sénat a bloqué pour l’instant toute aide supplémentaire pour analyser le bien-fondé du projet.
En effet, quelques très légers biais demeurent dans le raisonnement… D’abord, le marché n’est pas un instrument infaillible, l’affaire Enron ou la bulle Internet spéculative le prouvent. Ensuite, “de futurs terroristes pourraient très bien participer au marché, afin de s’enrichir avec leurs attentats ou d’induire les services secrets américains en erreur en les aiguillant sur de fausses pistes”, s’inquiètent les deux sénateurs rebelles. Enfin, quoi de plus logique que de faire réellement assassiner quelqu’un après avoir parier gros sur sa mort… Alors, le marché deviendrait non plus un instrument de prévision politique, mais un agent dont les actes seraient pour le coup… imprévisibles.
Eric Glover