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L'empire et l'Europe
Peut-être, selon l'expression d'Arnold Toynbee, "l'Histoire est-elle à nouveau en mouvement"? Ce sentiment naît d'une constatation : la puissance américaine est à son zénith, elle a été électrisée par les attentats du 11 septembre et les Etats-Unis se préparent à intervenir au Moyen-Orient pour renverser Saddam Hussein. Leur intervention, dans cette partie du monde déjà troublée, pourra avoir des conséquences considérables. Elle justifiera en tout cas ce titre d'empire qu'on leur attribue, autant par crainte que par admiration, et que certains Américains d'ailleurs revendiquent, avec son cortège de synonymes plus ou moins proches : unilatéralisme, hyperpuissance, voire hégémonie.

Face à cette situation, les Européens éprouvent deux sentiments : la frustration de l'ancien joueur devenu un spectateur impuissant, l'inquiétude de celui qui risque de voir ses habitudes et son voisinage bouleversés.

Bien entendu, cette intervention reste incertaine. Les militaires américains sont moins enclins à faire la guerre que les civils. La politique intérieure, l'opinion publique, les élections de l'automne peuvent éteindre les ardeurs guerrières. Les craintes et les renversements que ces préparatifs peuvent entraîner au Moyen-Orient, les hésitations turques et les difficultés de l'opération elle-même peuvent détourner les Américains de ce projet. D'autant qu'il n'est pas sûr que leur armée soit adaptée à une intervention de ce type, compte tenu de la doctrine militaire qu'ils ont professée jusqu'à présent, qui repose sur la supériorité massive en matériels et en hommes, la réduction à zéro du nombre des victimes de leur côté et l'existence d'une possibilité de retrait en cas d'insuccès. Quoi qu'il en soit, on comprend l'inquiétude européenne : le Moyen-Orient est proche, notre approvisionnement pétrolier en dépend, les minorités arabes qui vivent sur notre continent ne resteront pas insensibles à ce conflit.

Ce mélange de frustration et d'inquiétude explique l'embarras, les réticences et les critiques à l'égard des Etats-Unis, tant dans l'opinion que de la part de beaucoup de dirigeants européens.

Dans un brillant essai, Robert Kagan, qui appartient à une grande institution de recherche (le Carnegie Endowment for International Peace), n'a pas de peine à souligner que la vision politique des Européens découle de leur faiblesse, alors que celle des Américains résulte de leur puissance (Le Monde du 27 et daté 28-29 juillet). En le lisant, on pourrait dire qu'il s'est produit un grand chassé- croisé. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'Europe prônait le réalisme et pratiquait la politique de puissance. Cette école a inspiré Bismarck, Churchill et même de Gaulle, qui, s'il n'a pas eu les moyens de cette politique, en gardait la nostalgie. Désormais, parce qu'ils sont incapables de se donner les forces militaires nécessaires pour être une puissance mondiale, ou, plus exactement, parce qu'ils privilégient leurs dépenses sociales et civiles plutôt que leurs dépenses militaires, les Européens en sont réduits à parler le langage du droit international et du libre-échange.

Si l'intervention américaine se produit en Irak, elle mettra cruellement à jour l'impuissance européenne, jusqu'à présent à demi masquée. L'Europe a été, en effet, l'objet de la guerre froide et, en contribuant, fût-ce partiellement, à sa propre défense contre l'URSS, elle s'est crue sinon l'acteur principal, du moins le partenaire privilégié de l'OTAN. Les événements des Balkans, les promesses de l'élargissement, les responsabilités exercées en matière commerciale et monétaire ont pu lui faire croire qu'elle jouait effectivement un rôle mondial. Les Européens, en s'empressant de proclamer leur solidarité avec les Etats-Unis après le 11 septembre, en s'efforçant de jouer un rôle en Afghanistan, ont voulu prouver qu'ils comptaient encore. Mais personne n'est dupe de cette rhétorique diplomatique. Les Etats-Unis ont déclaré qu'ils choisiraient désormais à la carte les alliés qui leur seraient nécessaires et qu'ils décideraient seuls de leurs entreprises.

UN PROFOND FOSSÉ

Dans cette perspective, on peut craindre que les opinions européennes ne se séparent de l'opinion américaine. On le voit déjà clairement à propos d'Israël. Même si beaucoup de dirigeants en Europe, à commencer par les Anglais et les Français, acceptent l'intervention américaine, parce qu'ils redoutent de paraître hostiles aux Etats-Unis et plus encore d'être marginalisés sur la scène internationale, l'attitude de beaucoup d'autres pays sera sans doute différente, et il risque de se creuser un profond fossé entre l'Europe et l'Amérique.

Quand on ne peut pas modifier le cours des choses, on peut au moins y réfléchir. En dépouillant leur réflexion de tout ressentiment et de toute hypocrisie, les Européens pourraient insister sur les risques de cette politique, d'abord pour l'Amérique elle-même. Réflexion difficile à mener et encore plus difficile à exprimer, il faut le reconnaître : les conseilleurs ne sont pas les payeurs. D'autant qu'il persiste en Europe un étrange sentiment de supériorité intellectuelle à l'égard des Américains, dont on se demande ce qui peut le justifier. Qui n'a pas entendu la formule, échangée entre hommes d'Etat, selon laquelle les Américains seraient "très jeunes et peu solides" ? Propos surprenant si l'on considère l'histoire du XXe siècle et l'affrontement suicidaire des vieilles nations d'Europe.

Il existe aux Etats-Unis suffisamment d'experts, de diplomates avisés et d'hommes politiques réalistes pour peser les risques d'une intervention et d'une présence américaine prolongée au Moyen-Orient. Après tout, si on avait dit à un Européen, en 1910, que la question de l'équilibre des puissances, qui se posait en Europe depuis cinq siècles, serait réglée par deux interventions de l'Amérique suivies d'une présence continue de ses troupes, on aurait provoqué une franche hilarité. Mais, tout cela étant admis, il y a une chose que les Européens savent et peuvent avancer sans présomption : c'est que la puissance ne mène pas nécessairement à la victoire.

En abordant le Moyen-Orient, les Américains lient entre eux et veulent résoudre plusieurs problèmes : les armements du régime irakien, le conflit d'Israël avec les Palestiniens, la passion religieuse, le ressentiment arabe, le partage inégal de la rente pétrolière, l'archaïsme des monarchies du Golfe. Ils pensent qu'à long terme la démocratie, le droit, le commerce et la paix pourront régner au Moyen-Orient comme ailleurs. Dès lors qu'ils veulent jouer ce rôle, les questions se précipitent. Comment une démocratie moderne soumise à l'opinion gère-t-elle un empire ? Comment une armée, dont la puissance repose sur la technique, vient-elle à bout du terrorisme ? Comment supporte- t-on des pertes en hommes et des engagements durables d'élection en élection ? On choisit ses ennemis et on prend pour amis les ennemis de ses ennemis. Encore faut-il peser les conséquences de ces alliances douteuses pour les Tchétchènes ou pour les Kurdes.

Plus généralement, est-il politique de parler uniquement le langage de la force et d'oublier le droit international ? Est-il prudent, quand on a contribué à créer les principales institutions internationales, d'en saper les fondements ? Enfin, quand on se prépare à une victoire éclair sur le terrain, a-t-on bien mesuré les conditions d'un succès politique à moyen et à long terme ? Autrement dit, pourra-t-on vaincre dans l'immédiat sans chercher à régler au fond le problème palestinien, en assurant définitivement la sécurité d'Israël sans humilier le monde arabe ?

Jean-Claude Casanova pour Le Monde

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 30.07.02
Ecrit par Angward, à 09:29 dans la rubrique "Histoires".



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