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Mais soixante siècles plus tard, cette description, rapportée dans son pamphlet publié en 2005, Mes réactions citoyennes, a heurté la sensibilité de défenseurs de la morale religieuse. Les islamistes jugent déplacée la comparaison avec le voile musulman. Et un avocat d'Izmir, Yusuf Akin, a déposé une plainte contre Mme Cig et contre son éditeur, Ismet Ögütücü, de longue date dans leur collimateur. Ils tombent sous le coup des articles 125 et 216 du code pénal turc, qui punissent l'"insulte" et la "provocation à la haine raciale et religieuse".
L'archéologue sumérologue risque théoriquement jusqu'à trois ans de prison. "Si je suis jugée coupable pour cela, je n'irai pas devant la Cour européenne des droits de l'homme, a toutefois estimé Mme Cig, fervente patriote. Je ne tomberai pas suffisamment bas pour accuser mon propre pays."
Cette procédure, intentée par de supposés islamistes, fait écho aux dizaines de plaintes déposées par les ultranationalistes contre des intellectuels turcs tels que le Prix Nobel de littérature 2006, Orhan Pamuk, régulièrement accusé d'insulter l'identité nationale turque. La faille judiciaire sert à tous les règlements de comptes. Il faut dire que le port du hidjab, le voile islamique, provoque un vif débat en Turquie, pays en majorité musulman, mais farouchement laïque depuis l'avènement de la République en 1923.
Le foulard est interdit
dans les universités et dans la fonction publique. Le gouvernement
islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan aimerait assouplir ces
règles au nom de la liberté de religion, mais il se heurte
régulièrement aux milieux laïques républicains, qui l'accusent de
vouloir islamiser la société turque.
Muazzez Ilmiye Cig est d'ailleurs connue pour ses prises de position contre le couvre-chef religieux. "Il y a dans notre pays une vague réactionnaire", a-t-elle déclaré à une chaîne de télévision turque. Depuis qu'elle est à la retraite, elle est même devenue une disciple zélée de Mustafa Kemal Atatürk, n'hésitant pas à envoyer des lettres de rappel à l'ordre aux différentes institutions ou, plus récemment, à s'engager en faveur du boycott des produits français, en représailles au vote des députés sur la pénalisation de la négation du génocide arménien.
Volontiers
provocatrice et pourfendeuse acharnée des ennemis de la République
laïque, elle s'en était notamment prise à Emine Erdogan, la femme du
premier ministre, qui se couvre du hidjab en public. "Elle peut
porter ce qu'elle veut à la maison, mais, en tant qu'épouse du premier
ministre, elle ne peut porter ni croix ni foulard", avait-elle estimé dans une interview au quotidien Vatan.
Guillaume Perrier - Le Monde